Livre lu à La Paz en Bolivie (mai 2014)
* L'histoire :
Au milieu du XIXe siècle, Narcisse Pelletier, un jeune matelot français,
est abandonné sur une plage d'Australie. Dix-sept ans plus tard, un
navire anglais le retrouve par hasard : il vit nu, tatoué, sait chasser
et pêcher à la manière de la tribu qui l'a recueilli. Il a perdu l'usage
de la langue française et oublié son nom. Que s'est-il passé pendant
ces dix-sept années ? C'est l'énigme à laquelle se heurte Octave de
Vallombrun, l'homme providentiel qui recueille à Sydney celui qu'on
surnomme désormais le « sauvage blanc ».
* Mon avis :
Ce livre m'a marquée, d'autant plus qu'ils s'agit d'une histoire vraie. C'est une découverte totalement inattendue au cœur de ce voyage où je lisais les livres des bibliothèques des auberges de jeunesse. J'ai été fascinée par l'histoire de cet homme qui a tout oublié de son passé d'occidental. La façon dont est traité le sujet est particulièrement intéressante : le récit de la vie de Narcisse dans la tribu, sa découverte, son retour en Europe, le questionnement d'Octave... Ce livre s'ancre dans le XIXe siècle colonial, où les Européens se pensaient investis d'une mission civilisatrice de part le monde. De fait, cet homme dérange, intrigue. Il lui faut abandonner sa "sauvagerie" !
En complément, je vous propose de lire cette interview de François Garde, parue sur le site de Libération le 2 février 2012 :
Noël. J'aimerais savoir comment vous avez rencontré Narcisse Pelletier ?
François Garde.
C'est à Nouméa que j'ai entendu parler de cette histoire, il y a une
dizaine d'années. J'avais juste retenu l'essentiel, l'histoire d'un
matelot oublié, et qui était devenu complètement étranger à sa culture
d'origine. Cette histoire m'avait fasciné. Elle est restée dans un coin
de ma tête, et est ressortie sous forme de livre. Je n'ai recherché des
informations sur cette histoire qu'après avoir terminé la première
version du manuscrit.
Colline. Par quel biais ? Les habitants ? Des ouvrages ?
F. G.
Je crois me souvenir que c'est un article dans le journal local.
L'histoire de Narcisse Pelletier est tès peu connue en France, sauf en
Vendée. Par contre, elle est assez connue en Australie. Elle est
considérée comme l'une des grandes histoires de destin maritime, comme
les Révoltés du Bounty. Par contre, si l'on demande à des Australiens,
un peu familier du monde maritine, ils citeront Narcisse Pelletier parmi
les dix plus belles histoires des mers. Je m'aperçois qu'avec mon
livre, je rend Narcisse Pelletier à son pays, et j'en suis bien content
pour lui.
Prune. Avez-vous consulté les archives maritimes départementales pour savoir ce qui s'est vraiment passé à bord du Saint-Paul ?
F. G. Non, j'ai modifié les circonstances de l'abandon. Le véritable Saint-Paul avait
fait naufrage. Les rescapés ont embarqué sur une chaloupe, passé
plusieurs jours en mer, et comme Narcisse Pelletier avait été blessé
dans un affrontement avec les indigènes d'une île de Micronésie, la
chaloupe l'a délibérement abandonné en raison de ses blessures. Dans mon
roman, Narcisse espère que le bateau va revenir, et cela change sa
manière de réagir à l'abandon. Lui a de l'espoir, alors que le vrai
Narcisse n'en a jamais eu.
Colline. Comment a-t-il été retrouvé et qui a décidé de le ramener en France ?
F. G.
Il a été retrouvé par un bateau anglais qui s'appelle le John Bell. Les
marins qui sont allés à terre se sont aperçus, comme dans le roman,
qu'il y avait un blanc au milieu des sauvages. Ils l'ont capturé de
force, et l'ont emmené d'abord à un petit poste militaire à l'extrême
nord-est de l'Australie. Là, le vrai Narcisse a essayé de s'échapper. Il
a été attrapé, emmené à Sydney, et confié au consul de France, qui a
organisé son retour en France. Ils l'ont ramené parce que la présence
d'un blanc dans une tribu sauvage était insupportable dans les
représentations mentales du XIX siècle où régnait la certitude d'une
hiérarchie des races.
Votre pseudo. Votre
histoire est fantastique et mérite le détour, on remarque l'authenticité
des faits relatés et nous plonge dans des abîmes enivrants.
Bernard. Bonjour, pas de questions mais des
impressions. Une histoire étonnante, une très belle écriture, un
attachement pour chacun des personnages. C'est selon moi le livre de ce
début d'année. Un grand merci à François Garde pour ce grand moment de
lecture.
F. G. Merci pour les
compliments qui me font très plaisir. Je ne suis pas sûr que le fait que
l'histoire soit vraie soit important. Je n'aurais jamais osé, sans
doute, imaginer cette histoire, mais l'ayant connue, je me suis autorisé
toutes les libertés de l'écrivain pour en faire ma création.
Colline. Existe-t-il des écrits sur sa réadaptation et sa «re-socialisation» au monde occidental ?
F. G.
Hélas, Octave de Vallombreu – ce scientifique qui s'intéresse à
Narcisse et réfléchit à son retour au monde civilisé – n'a jamais
existé. Le vrai Narcisse n'a suscité aucun intérêt de cet ordre. Un
érudit local lui a fait raconter son aventure, pour en tirer un petit
livret qui a été vendu pour lui constituer un pécule. Le vrai Narcisse
Pelletier a refusé la proposition d'un cirque qui voulait l'exhiber
comme cela se faisait à l'époque. Les outils scientifiques qui auraient
permis de comprendre en profondeur l'histoire de Narcisse n'ont été
forgés qu'au début du XXe siècle, notamment, et ce n'est pas un hasard,
dans le Pacifique, avec les grands noms de l'anthropologie.
Geneviève. Savez-vous s'il existe une réédition de «Chez les sauvages» de Narcisse Pelletier ?F. G. Je ne sais pas. Je n'ai pas souhaité la lire.
Colline.
Mais on ne sait pas comment Narcisse Pelletier a fini sa vie ? C'est
vraiment une histoire étonnante et je vais m'empresser d'aller acquérir
votre ouvrage cet après-midi!
F. G.
Le vrai Narcisse Pelletier, à son retour, on lui a trouvé par charité
un emploi de gardien de phare, à Saint Nazaire. Il est mort à cinquante
ans.
Hanna. Votre roman se situe au XIXe
siècle. Pourquoi avez-vous choisi des tragédies de Racine parmi les
lectures faites par Vallombrun à Amglo (Narcisse) ?
F. G.
Parce que la langue de Racine est un modèle indépassable d'élégance et
de classicisme. A choisir un livre, pour la sonorité du français, j'ai
mis dans la bibliothèque du gouverneur ce qui me semblait un idéal de
perfection de la langue française.
Bernard. Pendant la lecture du livre, je n'ai pu m'empêcher de penser à «l'Enfant sauvage»
de François Truffaut, inspiré aussi d'une histoire vraie. C'est pour
moi le choc des cultures; le moment ou l'on bascule d'un côté ou de
l'autre : troublant non ?
F. G.
Oui, à la différence radicale que l'Enfant sauvage a été, semble-t-il,
élevé par des loups, et que Narcisse a été adopté par des êtres humains!
L'Enfant sauvage de l'Aveyron est un cas unique, où aucune culture
n'existait. Narcisse, lui, n'est pas confronté à l'absence de culture,
mais a une culture qui lui est fondamentalement étrangère. D'autant plus
que Narcisse a fait deux fois ce voyage, puisqu'il était de son temps
et de son monde occidental. Il a fallu qu'il le désaprenne pour pouvoir
survivre comme aborigène, et faire ensuite, dix-huit ans plus tard, le
voyage du retour.